Lily est une petite fille au regard sombre et impénétrable. On dit d'elle qu'elle est une enfant très éveillée, certains la qualifieraient même d'effrontée. Mais Lily ne cherche pas à paraître insolente. Il y a simplement des mots qu'elle ne peut supporter, qui la font trembler, qui lui hérissent les cheveux... A vrai dire, personne ne parvient réellement à cerner Lily. Une tornade de sentiments, une petite fille impulsive, qui passe du rire aux larmes. Une enfant insolite. Les adultes la trouvent farfelue. Lily a un regard ténébreux. Lily a un visage impassible. Lily a des lèvres faussement rieuses. Lily joue la comédie. A chaque instant. C'est ça, sa passion. La mascarade. Pas l'hypocrisie, Lily est toujours sincère. Mais elle porte un masque d'insensibilité. Elle se veut inébranlable. Elle ne se dévoile pas, ne se confie pas. Elle n'accorde pas sa confiance. Enfin, si... Il y a Céline, sa grande sœur. Elle, c'est différent. Lily a toujours eu cette complicité avec sa Céline, du moins, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne. Un regard, un imperceptible haussement de sourcil, un clignement d'œil... Lily aurait aimé avoir une jumelle. La cohésion aurait été parfaite, avec une jumelle. Enfin, elle aimait sa sœur et lui était tout à fait dévouée. Cependant, depuis quelques temps, Céline fait des cachotteries à sa sœur, et Lily vit assez mal ce manque de confiance. Elle avait compris que sa sœur se réunissait secrètement avec des amis pour débattre des mystérieuses disparitions qui accablaient les familles parisiennes mais elle ne comprenait pas qu'on veuille la tenir à l'écart. Lily est insomniaque. Les crises avaient commencé juste après ce fameux événement. Depuis, Lily a apprivoisé ses nuits. Les crises se sont rapprochées avec le temps, et, dès son arrivée à Paris, se sont faites très présentes. Lily sort la nuit. Elle aime le souffle du vent qui caresse ses jambes découvertes, la fraîcheur du trottoir sous ses pieds nus, l'imperceptible convulsion de la Seine, l'iridescence des étoiles dans le ciel fuligineux, l'odeur âcre de l'asphalte qui refroidit... Lily a vu des choses. Elle a vu Babette. Lily souffre de ne pouvoir parler à personne. Sa sœur repousse les conversations. Alors, elle se réfugie dans la musique. Elle s'assoit devant son piano, le regard grave, dépose nerveusement ses doigts sur les touches. Et elle joue. Elle joue son angoisse, elle joue sa haine, elle joue son malaise. Elle joue son passé qui la hante. Elle joue ce présent qui la rattrappe. Lily a quatorze ans. Lily va au collège, elle a des amies. Lily sait qu'elle est différente. Lily veut devenir comédienne. Ou pianiste. Ou les deux à la fois.