CRÉDIT - CSS

Lily se tenait, les yeux grands ouverts, le regard dans le vide, assise devant son piano. Elle caressa fiévreusement les touches. Elle laissa peser un doigt... Puis deux. Elle jouait. Avec douceur ; le corps tendu, les doigts fébriles.


Sa voix, pleine et tremblante, s'éleva et emplit le grand salon. Une voix qui glissait avec langueur sur le bois clair des meubles, s'infiltrait en eux, semblant presque leur donner vie.
Quiconque serait passé par là se serait immobilisé, frissonnant. C'est vrai qu'elle avait un don pour la musique. Elle chantait à merveille. Cependant, les morceaux qu'elle interprétait semblaient de plus en plus sombres. On sentait la douleur poindre sous ses mains, dans les silences que laissaient ses doigts fins suspendus au-dessus des touches, à travers sa voix qui semblait par instants se briser... Soudain, Lily frappa le clavier avec force. Un son lugubre s'échappa de l'instrument. L'atmosphère se fit pesante. Sa voix sembla s'étrangler dans sa gorge blanche. Elle fulminait ! Rien à faire, cette mesure ne voulait pas passer ! Elle s'était pourtant entraînée des dizaines de fois... Des larmes de rage baignaient son visage. Elle se leva avec fougue, referma violemment le piano, saisit son porte-bonheur qu'elle glissa dans sa poche et, claquant le portillon, se précipita dans la rue. Il fallait qu'elle respire. Qu'elle s'épuise. Elle voulait retrouver la fraîcheur de l'eau. Elle se dirigea prestement vers la Seine.
Peu à peu, elle s'apaisa. Elle ralentit. Le vent léger avait séché son visage. Lily ne pensait à rien. A rien d'autre que :


Elle se mit à marcher avec une extrême lenteur, ses pieds se décollaient du sol avec une délicatesse excessive, son corps semblait à peine se mouvoir, et pourtant elle avançait. Les gens commençaient à se retourner sur son passage.

chuchota une femme à l'homme qui l'accompagnait et devait être son époux.
Mais Lily n'entendait pas. Elle n'errait pas non plus. Elle savait où elle allait. Elle n'en avait pas peur. Elle avait seulement besoin de sentir combien son corps lui appartenait. Que c'était elle qui commandait.


Lily leva les yeux. C'était un murmure rauque .


Lily connaissait ce poème. Son père le lui récitait lorsqu'elle était petite. Elle l'avait appris. Il l'avait accompagnée bien longtemps. Comme une formule magique. Mais depuis quelques années, il lui était sorti de l'esprit. Elle avait du l'oublier, avec tous ces souvenirs du passé qu'elle avait bannis de sa mémoire.
Lily chercha sans bouger d'où venait la voix. C'était une femme à l'allure étrange, accoudée à la balustrade qui surplombait les quais.

termina Lily, en même temps que la voix. Elle ne sembla pas l'entendre.

ajouta Lily.

continua la petite fille en plantant ses yeux dans les siens. Alors, une sensation étrange parcourut le corps de l'enfant. Elle semblait ne plus pouvoir détacher son regard de la jeune femme. Quelque chose d'irrésistible l'attirait vers... ce personnage. Elle resta là, la bouche entrouverte, pendant un temps qui lui sembla une éternité. Il semblait à Lily que la jeune femme détaillait son visage... avec une troublante rapidité. Fascinée. Lily était fascinée.

Le charme qui les avait si soudainement unies paraissait ne pas vouloir se briser.
Lily partit en courant. Elle dévala les marches qui menaient aux berges du fleuve. Elle sentait le regard de la jeune femme, toujours posé sur elle.
Ses pensées étaient un peu embrouillées. Elle s'assit sur un muret, replia ses jambes et déposa sa tête sur ses genoux. Elle pleurait.